LE TEXTE DU JOUR : Le Voyage des mages. TS Eliot. (1927)
Un roi mage, devenu vieux, raconte le voyage vers Bethléem, un voyage long, fastidieux, éprouvant. Revenu dans son pays, il se rend compte que la naissance du Christ a signé la mort de son monde, celui de la magie, de l'astrologie et du paganisme. Extraits:
"Ce fut une froide équipée,
La pire saison de l'année
Pour un voyage, surtout pour un si long voyage:
Les chemins ravinés, la rafale cinglante,
Le plus morfondu de l'hiver."
Et les chameaux meurtris, éclopés, réfractaires
Qui se couchaient dans la neige fondue.
Plus d'une fois, certes, nous regrettâmes
Le palais d'été sur les pentes, les terrasses
Et les filles soyeuses qui passaient des sorbets.
Sans compter les chameliers qui juraient qui maugréaient,
Qui fuyaient, qui voulaient leur boisson et leurs femmes,
Et les feux du bivouac qui s'éteignaient et le manque d'abri,
Et les cités hostiles, les bourgs rébarbatifs,
Les villages crasseux qui demandaient les yeux de la tête :
Ce fut une rude équipée.
Vers la fin nous allions toute la nuit durant,
En sommeillant par bribes,
Et des voix résonnaient à nos oreilles, chantant
Que tout cela était folie.
(...)
Tout ceci est fort ancien, j'en ai mémoire
Et serais prêt à le refaire, mais notez bien
Ceci, notez
Ceci : tout ce chemin, nous l'avait-on fait faire
vers la Naissance ou vers la Mort, Qu'il y ait eu
Naissance, la chose est sûre , car nous en eûmes
La preuve, pas de doute. J'avais vu la naissance
Et j'avais vu la mort ; mais je les avais crues
Toutes deux différentes. Cette naissance-là
Fut pour nous agonie amère et douloureuse,
Fut comme la Mort, fut notre mort.
Nous sommes revenus chez nous, en ces royaumes,
Mais sans plus nous sentir à l'aise dans l’ancienne dispensation
Avec nos peuples étrangers qui se cramponnent à leurs dieux
Une autre mort serait la bienvenue.
La Terre vaine. et autres poèmes. traduite de l'anglais par Pierre Leyris. TS Eliot. Points. Editions du Seuil. 1976. 2€. Édition bilingue
Né aux USA et devenu citoyen britannique T.S Eliot,(1888 - 1965) reçoit le prix Nobel de littérature en 1948.